Le psychisme Une énergie fondamentale

Tome 1: Les bases du psychisme

Ida Rabinovitch

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Introduction

Tout commenca un jour, en Bretagne, sur la côte du Morbihan. J'avais dix-huit ans. Pour la première fois, je passais de longues vacances à la mer où, pour moi, tout était découverte. Chaque jour, quelque soit le temps, je poursuivais, dans les rochers, la mer qui sans fin les assaillait... Ce jour-là, une petite pluie fine et du vent... Et surtout un grondement inhabituel qui couvrait nos voix. La mer était démontée. A quelques mètres des vagues, je grimpai jusqu'à une sorte de grotte creusée dans le rocher et m'y installai, à l'abri de la pluie. Et je restai là, immobile, subjuguée, regardant vaguement l'écume qui bondissait jusqu'à mes pieds, envahie par cette immensité mouvante, terrible, qui m'emplissait. Que m'avait-on appris de la vie ? Qu'elle se limitait aux individus ? hommes ou animaux ? Allons donc ! La mer, cette mer démontée n'était-elle pas vivante, d'une vie plus large, plus profonde, plus intense, que je sentais en moi, qui me dominait, qui me débordait de toute son ardeur véhémente ? Oui, j'étais océan, j'étais vent, j'étais pluie, j'étais ce grondement intense des éléments en furie ! Si une vague tout à coup m'avait emportée, je sentais que je n'aurais pas réagi. Bien au contraire, je crois que je me serais fondue en elle avec délices... Et je savais maintenant de source sûre que la vie est partout, en tout, tout... Le monde n'est que vie.

Ce fut ma première grande découverte.

Un an après environ, lors d'une promenade "botanique" de groupe, en forêt de Meudon. Les plantes et leurs familles ne m'importaient guère. Une longue conversation avec un étudiant polytechnicien: et je découvre, ô miracle, que c'est un chrétien, un vrai. Rien d'extraordinaire, allez-vous dire ! Eh bien si, pour moi, c'était extraordinaire, car mon éducation n'avait jamais comporté aucun élément religieux. Mon père, mon grand-père étaient des athées convaincus. La notion de Dieu était pour eux une fable pour enfants. Ceux qui y croyaient étaient simplement sous-évolués. La notion de bien et de mal était intuitive et révélait simplement la dignité humaine. L'homme seul pouvait et devait en décider. Mon père était d'une probité à toute épreuve... Il estimait qu'attendre une récompense quelconque (dans notre monde ou ailleurs) pour une "bonne action" était indigne de l'état d'Homme.

La découverte de ce chrétien convaincu, homme non seulement évolué mais d'un haut niveau scientifique me sembla incroyable. Mais où donc logeait-il Dieu ? Il essayait de répondre aux innombrables questions que je posais, sans trop de succès d'ailleurs, mais le souvenir de cette excursion "botanique", où, évidemment nous nous étions égarés dans la forêt, laissa en moi l'impression physique d'un précipice dont je ne découvrais pas le fond et que j'avais longé toute ma vie sans m'en apercevoir... Il me fallait le sonder à tout prix.

Et ce fut le début d'une recherche incessante à travers les différentes religions que je découvrais lentement, parallèlement à mes études scientifiques. J'effleurai cependant à peine le Catholicisme, trop dogmatique, un peu plus profondément le Protestantisme ; mais décidément, un Dieu souffrant ne m'attirait guère. Je plongeai successivement, d'abord vers leurs origines communes, le Judaïsme qui m'impressionna profondément, puis, vers les religions d'Asîe et particulièrement l'Hindouisme à travers Romain Roland, Vivekananda, puis Aurobindo...

Et lentement se fit jour en moi un sentiment d'Unité générale que les hommes avaient senti intuitivement depuis des millénaires - unité généralisante que j'avais moi-même découverte en quelque sorte malgré moi, dans la science elle-même, à travers les cellules d'abord, si semblables dans tout le monde vivant, puis dans l'atome lui-même dont Bohr m'avait suggéré une image bouleversante : comme une sorte de miroir du monde macrocosmique des soleils et planètes tournoyants se reflétant sur le monde microcosmique des particules et des atomes... appuyée encore par la découverte de l'ADN immortel dans le monde dit vivant... Mais tout le monde n'était-il pas vivant ? Je l'avais tellement senti en Bretagne : cette UNITE sousjacente n'était-elle pas vie ?

Pourtant, la science posait des problèmes. Il y avait les quanta qui étaient là et qui sans cesse dérangeaient tout. Einstein lui-même n'arrivait pas à s'en accomoder. Quelque chose n'allait pas. La logique doit pouvoir tout expliquer. Jusque-là, elle avait non seulement tout expliqué rationnellement mais encore prévu, prédit tel ou tel événement. Nous pouvions compter sur elle. Et voilà que les beaux axiomes légués par les Grecs et que nous pensions intuitifs (les principes d'identité, de non contradiction, d'irréversibilité du temps, d'un espace à trois dimensions, etc.) semblent anéantis. La particule fuit sous nos pas, devient évanescente, inlocalisable, se transmute en onde, l'espace s'étire élastiquement et même disparaît, la matière devient énergie et évolue par bonds, l'observateur influe sur l'observé... Bref, on commence à douter de tout, y compris du réel lui-même.

Pourtant, les Grands Inspirés qui lancèrent à travers le monde toutes les grandes religions, eux, ne doutent pas. Ils n'ont jamais douté. Seulement voilà : ils ne démontrent pas. Les scientifiques ne peuvent les suivre. L'Unité du monde, même s'ils la pressentent, n'est pas, pour ces derniers, évidente. Il faut la prouver : si nous sommes dotés de logique, ce n'est pas pour rien ! Il doit y avoir un moyen, un lien entre le Réel scientifique, quel qu'il soit, et l'intuition empirique de ce Réel entrevu par ceux qui ont remué le monde avec leurs Prophètes, Bouddhâ ou Christ... Or, ces Grands Inspirés disent tous : il y a quelque chose derrière les apparences, que vous ne voyez pas, un Absolu, une Energie dissimulée, un Etre hors des êtres, hors du temps, hors de l'espace... Et la science elle-même commence à proclamer - Ce que vous voyez est faux : les chaises, les tables, les pierres ne sont qu'atomes... pleins de vide ! Or, (découverte récente) la physique quantique parle maintenant d"'Energie du Vide" ! Energie sans ondes, sans particules ?

De quoi se casser la tête contre les murs.

Et je découvris Stéphane Lupasco.

Je sentais depuis longtemps que les axiomes sur lesquels notre science cartésienne était fondée perdaient leur sens en physique quantique. Mais pouvait-on logiquement raisonner sans passer par la recherche scientifique ?

Bien sûr que NON, dit Lupasco. Il s'agit simplement de modifier nos axiomes de base et tout peut s'expliquer. Il faut en trouver de nouveaux qui relient et englobent les précédents !

Newton avait réussi à relier logiquement la chute des corps aux mouvements des astres : la science fit un bond en avant, Einstein avait réussi à relier Energie et Matière : la science fit un nouveau bond. De même Lupasco réussit à relier, à intégrer logiquement les axiomes de base de notre pensée cartésienne et les découvertes déconcertantes les niant au niveau du microcosme-macrocosme. Ceci tout simplement en considérant l'énergie comme le résultat d'antagonismes structuraux. De la sorte, nous pouvons continuer à tabler sur nos procédés rationnels de déduction logique d'une part, et d'autre part admettre, tout aussi logiquement, leur propre négation, donc une forme d'irrationnel irréfutable sous-tendant continuellement les premiers. Pourquoi presque personne, à ce jour encore, ne s'est avisé d'en tirer parti et de développer en tous sens cette logique du contradictoire si profondément satisfaisante pour l'esprit ? Peut-être parce que l'ouvrage de base où elle fut formulée avait paru trop tôt (1951) et ne fut pas réédité ... (1)

Quoi qu'il en soit, je peux dire que les théories lupaschiennes furent pour moi le "Sésame ouvre-toi" qui me permit de découvrir le lien entre rationnel et irrationnel, entre la science expérimentale et l'intuition, méthodes diamétralement opposées de recherche du réel. Car Lupasco ne s'écarte jamais de cette logique(2) scientifique indispensable à toute recherche et facteur essentiel de compréhension. Et il ne cesse de s'appuyer sur les plus récentes découvertes, méthode que ma formation intellectuelle m'imposait. Qu'on y pense donc ! Si toute énergie procède d'antagonismes, comment ne pas intégrer simultané- ment rationnel et irrationnel, particules et antiparticules, continu et discontinu, matière et antimatière, et même temps-antitemps ou espace- antiespace - voire Etre-non-être ? Autrement dit, toutes nos difficultés de compréhension d'un monde délibérément ouvert à toutes les possibilités ?

A vrai dire l'abondance actuelle des ouvrages qui tentent laborieusement une ouverture vers l'irrationnel est impressionnante et montre bien le désarroi des penseurs. Des hommes de science eux-mêmes tels que Henri Atlan, J. Rufin, J. Tonnelat, L.Prigogine, J. de Rosney, H. Laborit, etc., découvrent que "la logique de la contradiction est celle des systèmes vivants" (H. Atlan) - ou que quelque chose de fixe, de permanent, de hors du temps se profile à travers tous les systèmes biologiques malgré leur évolution continue (J. Rufin) - ou encore que l'ordre est normalement issu du désordre, contrairement à ce que nous enseigne l'entropie (Prigogine et même Tonnelat quoiqu'il s'en défende). J. de Rosney va même plus loin : "Toute entité de la nature doit être concue à la fois sous son aspect continu et discontinu" (Le macroscope" ). Ailleurs : "Chaque invention est l'équivalent d'une mutation", etc., etc. D'autres auteurs vont encore beaucoup plus loin (Costa de Beauregard, Cazenave, Thérèse Brosse, P. Thuillier, Michael Talbot ... ) et commencent à jeter un pont entre la science expérimentale et la conscience de l'observateur, à penser soit en termes d'unification totale, soit en considérant rationnel et irrationnel comme les deux visages antagonistes du Réel... Malheureusement, ce sont des constatations, non des explications logiques. N'est-il pas temps d'essayer d'expliciter toutes ces pensées convergentes ?

Mais que fait - et qu'est l'énergie psychique dans cette aventure ? C'est certainement une énergie - et même une énergie remarquable puisqu'elle nous permet précisément cette extraordinaire réflexion (c'est le cas de le dire) sur elle-même qu'est la conscience que nous en avons... et les possibilités discursives et déductives qui nous permettent de penser, d'expliquer, de comprendre.

Et pourtant, on n'a jamais étudié le psychisme en tant que tel, mais seulement à travers ses manifestations plus ou moins morbides chez l'homme. Or, Lupasco le place, en accord avec ses théories, à un summum énergétique qu'on pourrait comparer, dit-il, à celui qui réside au coeur de l'atome (l'énergie nucléaire). Hypothèse séduisante s'il en est, qui peut s'ouvrir, me semble-t-il, beaucoup plus loin qu'au coeur de l'atome. Pourquoi pas aux confins de l'univers ? Pourquoi pas, à la limite, sur cet Absolu entrevu par les mystiques de tous les temps ?

Mais n'anticipons pas.

Il nous faut avant tout essayer de donner une idée aussi précise que possible des théories lupaschiennes. Et à partir de là, essayer de répondre logiquement aux questions qu'elles suggèrent. Par ex., essayer de revoir à leur lumière la facon dont tout peut s'enchaîner dans des domaines aussi larges que possible. Mais comme on ne peut pas aborder tous les domaines, limitons-nous, pour le moment à celui du psychisme.

D'abord, qu'appelle-t-on psychisme ?

Pouvons-nous, à travers la matière suggérée par nos sens, en découvrir les bases profondes ?

D'autre part, sur quoi se fonde et comment se développe le psychisme dans les sociétés évolutives animales, jusqu'à l'homme ?

Au niveau de l'homme, que deviennent ses formes devenues foisonnantes à travers le psychisme social humain, depuis les sociétés paléolithiques jusqu'à nos sociétés historiques ? On a l'impression qu'à ce niveau, comme un feu d'artifice, le psychisme s'échappe de toutes parts de la matière biologique.

Mais alors, où sommes-nous entraînés ?

C'est avec passion que j'essaye de répondre à toutes ces questions dans ce tome 1 de mon essai : "Les Bases du Psychisme".

Les bases seulement ? Mais les bases de quoi ? Quelque chose a jailli étrangement des bases...

Désormais, les questions fusent à l'infini.

Où sommes-nous entraînés ? Bonne question sans doute. Mais d'abord, d'où sortons-nous ? Pourquoi et d'où vient notre univers et cette énergie psychique qui nous autorise à poser ces questions ?

Que signifie, entre autres, la conscience d'une part, l'inconscient d'autre part ?

Pouvons-nous suivre les envolées psychiques dans leurs derniers retranchements ? Et quel est leur but ?

Quelle est la signification ultime de tout ce qui est ? En fin de compte, où est le REEL ?

Répondre est certes, très ambitieux. Mais pourquoi ne pas essayer ? Ce sera le but du tome Il : "La science et le divin", en cours d'achèvement. Et si je tente l'impossible, c'est toujours avec la même passion.

Je remercie particulièrement tous ceux qui m'ont conseillée et encouragée au cours de la rédaction de ce double essai, et particulièrement Basarab Nicolescu, disciple de S. Lupasco et auteur du très intéressant "Nous, la particule et le monde" (Ed. Le Mail, 1985) - et Siva Subramanian dont la disparition accidentelle m'a d'autant plus affectée qu'il ne cessait, grâce à son enthousiasme, d'enrichir, pour moi, les horizons de la pensée indienne. Je remercie aussi, pour leur aide technique Gil Rabinovitch et sa mère Malka.

(1) "Le principe d'antagonisme et la logique de l'énergie" éd. Herrnann 1951.

(2) Qu'on tee me dise pas qu'il y a plusieurs logiques 1 Tout simplement, notre logique explicative peut s'appuyer successivement, suivant les époques ou les cultures, sur des axiomes différents. Si vous prenez par ex. comme axiome qu'un Dieu anthropomorphe se cache derrière les nuages et provoque la pluie et le vent, vous pouvez logiquement, en conclure que le tonnerre est l'expres- siot; de sa colère. Un tel axiome a été jugé satisfaisant pendant des milliers d'années. Un jour ot? le jugea inadéquat et il fut remplacé par d'autres. Actuellement, les axiomes ayant servi de sup- port à notre science cartésienne semblent eux-mêmes inadéquats. Lupasca en propose d'autres. Et la logique qui et? est issue me paraît recouvrir une infinité de possibilités explicatives...