"Si Képler,
Galilée, Newton par exemple avaient été
des psychologues, nous aurions certainement une psychologie
dont nous ne pouvons nous faire aucune idée, pas plus
qu'on eût pu, avant Galilée, imaginer ce que
serait une physique... Peut-être même la
recherche psychique eût-elle figuré parmi ses
principales préoccupations (de l'homme). Une fois
découvertes les lois les plus générales
de l'activité spirituelle, on aurait passé de
l'esprit proprement dit à la vie. La biologie se
serait constituée, mais une biologie vitaliste, toute
différente de la nôtre qui serait aller
chercher, derrière les formes sensibles des
êtres vivants, la force intérieurs invisible
dont elles sont les manifestations'"(1). Bergson (Discours
à la Society for psychologicat research
prononcé le 28 mai 1913).
Parce que l'homme, où qu'il vive
est et a toujours été insatiable. Il y a en
lui une inquiétude, et même une angoisse qui
l'oblige à se poser des questions et à essayer
à toute force de les résoudre. Si Bergson
était né en Inde, il aurait effectivement eu
connaissance de ces Képler, Galilée, Newton
psychologues qui ont étudié essentiellement
l'activité spirituelle avant d'étudier la vie
matérielle - et ont découvert
précisément cette force invisible sous-jacente
dont lesformes vivantes sont les manifestations.
Malheureusement, comme le dit si bien Shrî Aurobindo
(1), "dans l'Inde, si le résultat a été
un immense amoncellement des trésors de l'Esprit, il
a été aussi une immense faillite de la vie. En
Europe, l'accumulation des richesses et la triomphante
maîtrise des pouvoirs et des possessions de ce monde
ont conduit à une égale faillite
(2) des choses de
l'Esprit."
Et c'est pourquoi l'homme ne peut, ni en
Inde, ni en Europe, ni ailleurs, s'arrêter là
et ne finira jamais de se débattre entre:
sujet-objet, unité-pluralité, moi-les autres,
Etre-Néant... Pourquoi? serait-ce parce qu'un beau
jour les heurts de particules (n'oublions pas que la science
reste reine en occident) - si particules il y a, car on ne
les voit pas, on les "devine" - à force de former des
systèmes et systèmes de systèmes d'une
complexité sans cesse plus grande, ont
"élargi" l'espace et "allongé" le temps pour
nous planter, nous - moi - vous - au beau milieu, avec ce
point d'interrogation lancinant: Moi? Mais qui suis-je?
Eh oui. Vers deux ou trois ans, J'enfant,
le petit d'homme, prend tout-à-coup conscience de son
corps, de sa séparation avec le monde, de son "Je".
Avant, il disait: "Jean, Pierre ou Jacques a fait
çà, veut çà..." maintenant il
dit: "Je"... La belle affaire! Le "Je" veut tout, est tout,
tout lui est dû puisqu'il est "Je". Et ce "Je", pour
lui, est essentiel, même s'il s'agit d'une
transcendance illusoire! ( Les "Autres" se chargent de le
lui faire comprendre ...)
Les "autres" ? Mais qui sont les autres?
Pourquoi se sont-ils mis en travers de ma route à Moi
? à "je" tout puissant? Ne serais-je donc pas l'Etre
même, qui peut Tout? qui est Tout? qui voit Tout?
Eh bien non. Il y a des
frontières... Il y a moi et les Autres. Il y a Moi
contre les Autres, malgré les Autres...
Pourtant, je suis MOI. La conscience
même. "Je pense donc je suis" a dit Descartes!
Voire... Et les autres alors? Ne sont-ils pas? Eux aussi
pensent - donc ils sont. Mais pourquoi sont-ils "Autres"
alors? Pourquoi me pensè-je séparé
d'eux? D'ailleurs ne faudrait-il pas dire: "Je suis, donc je
pense?" Car qui pense ? Peut-être les Indiens
diraient-ils que le Moi Pensant est une illusion... Qu'il
faut chercher ailleurs... Pourtant, si quelque chose pense
et en a conscience, cela se traduit par des tendances ou des
actions de mon corps matériel. Ce n'est donc pas une
illusion, mais bien une énergie, l'énergie
psychique. celle dont nous avons essayé de trouver
les bases tout au long de notre Tome I.(3)
Mais avons-nous été
jusqu'au bout? nous l'avons trouvée dès la
première cellule vivante - et même quelquefois
dans la matière inerte. Nous avons suivi le
développement du psychisme à travers toutes
les formes animales, tout au long de l'évolution,
puis dans les sociétés humaines primitives.
Mais pouvons-nous nous arrêter là? Alors que
précisément, à l'époque
actuelle, le psychisme humain semble à la fois se
déployer en un immense éventail qui menace de
recouvrir le monde? et s'enfoncer dans des profondeurs
insondables? Il nous faut donc nous efforcer d'aller plus
loin et de chercher les racines au fin fond des particules
et les limites dans l'infini des espaces. Et il nous faut
aussi nous pencher sur ces extraordinaires élans du
psychisme humain à la recherche du Réel
à travers les sociétés les plus
évoluées. C'est là que nous reprendrons
la suite du Tome 1: l'évolution psychique à
travers les sociétés historiques.
Peut-être, à force
d'insistance, finirons-nous par entrevoir, ne serait-ce que
sous une forme voilée, cette sorte d'absolu que nous
aimerions nommer le Réel et auquel nous ne pouvons
pas ne pas rêver...
Je ne saurais assez remercier
particulièrement pour leur aide, Rana-jit Sarkar
(Hindouisme, Bouddhisme), Basarab Nicolesou (matière
nucléaire, Henri Viaud, mon éditeur, et tous
ceux qui m'ont encouragée.
(1) "La vie divine" Ed.Albin Michel 1973 p.27
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(2) C'est nous qui soulignons
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(3) "Les bases du psychisme". Ed Présence
1987
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