Accueil |
Biblio-net | Philo-net
magazine |
Agenda | liens | Recherche
Introduction
Le son fait partie de l'expérience
quotidienne de chacun. Tout être baigne dans un
environnement sonore, le plus souvent de bruits, dont il a
plus ou moins conscience. Structuré et
organisé, le son devient musique. Nombre de personnes
se sentent touchées, ou agacées par une
mélodie. La musique suscite des émotions,
soulage ou vitalise, calme ou endort. Beaucoup subissent ces
états, ignorant le pouvoir, à la fois
constructif et modelant, ou à l'inverse, destructif
et destabilisateur de la musique. Elle est donc une
énergie active jusqu'au plus profond de l'être,
ouvrant l'accès au monde invisible. Elle est le
modèle vibratoire le plus simplement perceptible,
capable d'introduire à la connaissance des
différentes manifestations de la vibration
universelle, à la condition de l'entendre dans son
langage initiatique et sacré. Bien que perceptible
par l'oreille humaine, la Musique appartient au monde de
l'impalpable, de l'Eternel Présent. Ambassadrice des
Dieux dans les mythologies, elle établit les
relations entre le Ciel et la Terre, par identité de
résonance.
Dans les traditions, tant orientales
qu'occidentales, la création débute par un
chaos. Celui-ci est un mélange de souffles,
c'est-à-dire d'énergies, avant toute
séparation. C'est un état "catastrophique"
à la condition de méditer sur le double sens
de catastrophe, celui de chaos, de désorganisation,
d'indifférentiation, que nous employons couramment,
et celui qu'il a en acceptation musicale, à savoir le
retour au point de repos et à l'équilibre
axial d'une corde de lyre après qu'elle eut
vibré.
Puis, rapportent les Anciens, par une
action séparatrice, les souffles clairs et purs
montent et les souffles troubles, denses et impurs,
descendent. Ce sont le Inn et le Yang des Orientaux, les
Eaux d'en-haut et les Eaux d'en-bas de la
Génèse occidentale. Cette action
séparatrice (Chronos - Saturne dans la mythologie
helléniste) va instaurer le Cosmos. La racine de ce
dernier mot signifie monde ordonné et
harmonieux.
Ce processus est engendré dans la
Bible par la Parole de Dieu "au commencement Dieu CRIA le
monde", que rapporte aussi Saint-Jean : " Au commencement
était le Verbe... " Le Verbe est la
matérialisation de la Pensée créatrice
donnant naissance à la vie. Dieu tire la Nature du
Néant par la vertu de Son Verbe, la manifestation se
structurant par le Nombre vivant.
Tout est issu du chaos, tout y retourne
le septième jour (repos de la corde de lyre) au
travers de la propagation d'une vibration créatrice
hamonique: le Verbe créateur se transforme
lui-même en une vibration primordiale de la nature
d'un son, disent les traditions.
La manifestation du verbe s'exprime par
le Nombre:
"Dieu a créé le monde avec
mesure, nombre et poids" (livre de la Génèse
XI-21), ou "Tout est arrangé par le Nombre "
(discours sacré de Pythagore cité par
Jamblique).
C'est ainsi que le nombre permet
d'appréhender l'action du Verbe et qu'il offre sa
structure à l'octave. Cette même loi du Nombre
Vivant unissant le Verbe et l'octave permet la mise en
évidence d'un processus analogique entre la
Génèse de l'Univers et la génèse
musicale.
Construite selon la succession des phases
de la Génèse, la gamme est Parole de Dieu,
c'est-à-dire témoin de l'acte créateur
.
Sa loi étant par essence
harmonique, (sans quoi ce serait le chaos), la Musique
apparaît comme le modèle même de
l'harmonie universelle et de la mise en ordre du Cosmos :
tout corps, toute énergie, tout rayonnement est
vibration. La vibration est fréquence, et la
fréquence est "musique". Tout le monde
manifesté n'est qu'un immense mouvement spirale de
successions d'octaves, le son audible n'en
représentant qu'une infime partie. La Musique devient
dès lors le modèle même de la
manifestation. Elle exprime l'harmonie universelle et
explique la loi d'analogie existant entre les
différents niveaux de la création. Elle
établit la relation entre le Ciel et la Terre: de
même que l'Eau (d'en bas) sans Esprit (Eau d'en haut)
serait sans forme, et l'Esprit sans Eau serait sans action,
l'instrument sans vibration n'aurait pas plus de fonction
qu'une vibration sans instrument pour la faire
résonner et se manifester.
Ainsi se différencient la chose
nommée, la Forme, et son Nom qui est vibration. La
chose nommée appartient au principe des Formes, le
Nom appartient au principe des sons.
Tout système est basé sur
la loi de l'octave. Le monde manifesté couvre 81
octaves dont peu sont perceptibles à nos sens. La
multiplication des fréquences provoque les
changements d'octaves, le souffle des Nombres
générant les sons, les couleurs, aussi bien
que les rayons X, les ultraviolets, et même les
vibrations nucléaires. Tout se joue à
l'intérieur de l'octave .
La manière dont il va se
structurer est à l'image de la Génèse,
c'est-à-dire création par séparation.
Le principe de la discontinuité des vibrations s'y
applique (c'est même le modèle musical qui le
rend le plus évident, puisque le ralentissement dans
la propagation de l'énergie provoque deux demi-tons
dans la gamme). Bien sûr, le Nombre s'y exprimera par
l'Unité, la dualité, le ternaire, le
quaternaire...
La loi d'inversion entre Ciel et
Terre, ou encore entre non-manifesté et
manifesté, y trouve également application :
c'est ainsi qu'une corde, caractérisée par une
longueur, représentant l'aspect Terre,
manifesté, s'exprimera en une fréquence
inversement proportionnelle à cette longueur. La
longueur est en relation avec la matière. La
fréquence en est l'expression
énergétique.
Médiatrice de l'harmonie cosmique,
la Musique introduit à la compréhension du
microcosme humain. L'Homme, intermédiaire entre Ciel
et Terre, se doit, pour atteindre sa juste
réalisation, de participer aux deux mondes et la
Musique lui est offerte à cet effet.
"La musique exprime l'accord du Ciel et
de la Terre.... produit l'harmonie des hommes et des
esprits" dit un texte chinois de Tson Hyao Swen.
L'acupuncture, comme d'ailleurs tout acte médical
vrai, visant à réharynoniser l'être,
obéit au modèle musical. Chaque
méridien d'acupuncture est une corde invisible,
chaque point d'acupuncture, une note de musique sur cette
corde. Chaque organe résonne d'une vibration
spécifique. Le corps entier devient un instrument de
musique. Son état de santé exprime le bon ou
le mauvais accord de l'instrument avec les autres
instruments de la création, le rendant apte ou pas,
à participer à la symphonie
universelle.
Intégrer l'harmonie et se
mettre à son service, c'est vibrer à
l'unisson, au diapason du cosmos, c'est atteindre la
dimension de l'Homme cosmique, immortel, non soumis à
l'état terrestre ; c'est toucher le juste milieu
entre Ciel et Terre.
La Musique, avant que l'Homme ne s'en
empare pour l'asservir à l'expression de ses propres
sentiments, n'avait pas pour but de susciter des
émotions, mais de toucher l'être sur un plan
spirituel. Elle n'était point faite pour être
entendue par l'oreille, mais pour être reconnue par le
coeur, pour la satisfaction de l'esprit. C'est ainsi que
nous entendrons par Musique, la Musique sacrée, et
non la musique profane contemporaine, l'Art étant,
par essence, médiation.
La Musique unit tous les êtres, les
mettant au même diapason. Cette fusion dépasse
les différences de la vie existentielle, les sexes,
les hiérarchies, touchant le coeur même de
l'homme. Elle rassemble le monde horizontal en son centre
cardiaque manifesté, et ouvre aux portes invisibles
du vertical. Ce contact, ces retrouvailles du Paradis perdu,
ne peuvent que générer la joie, qui,
d'ailleurs, s'associe au coeur dans toutes les
traditions.
Il s'agit là, non pas d'une joie
qui serait émotionnelle : celle-ci,
exhubérante, s'extériorise dans un mouvement
excessif. Elle a comme corollaire son contraire, la
tristesse. La joie véritable dont il s'agit n'est pas
un sentiment duel, existentiel, mais essentiel : joie de
vivre, qui apporte paix et plénitude, joie d'aimer,
qui réunit les coeurs au rythme de la vie.
"Entendre avec le coeur ", c'est
retrouver le pouvoir synthétique de l'ouïe qui
mène à la Connaissance véritable, par
fusion du connaissant et de l'objet à
connaître. En ce sens,
l'audition s'oppose et complète la vue. Pour voir, il
y a nécessité de se situer par rapport
à un objet qui est extérieur, et se voir exige
un objet extérieur (miroir ou individu). La vue est
davantage au service de la conscience mentale qui est regard
sur le monde, et extravertie, analytique, objective. L'ouie
est une fonction perceptive introvertie. La conscience
extravertie est l'intelligence. La conscience introvertie
est l'entendement, connaissance par fusion, par
identité vibratoire avec l'essence même des
êtres et des choses. Si la vue sépare pour
analyser, l'ouie pour harmoniser et, tel le Petit Prince de
St-Exupéry, on peut dire que "l'on ne voit bien
qu'avec le coeur".
Associée aux Rites dans la
Tradition, la Musique en est leur complément.
Ensemble, ils réalisent l'Harmonie du Ciel et de la
Terre. Les Rites sont liés à une idée
de hiérarchie, ils établissent les
distinctions, ils séparent et différencient,
fondent le respect mutuel, et représentent l'aspect
terrestre des choses. La Musique est l'aspect
céleste, elle permet la communication, la communion,
l'union. Fondée sur la fraternité mutuelle,
elle réunit et harmonise. Les Rites structurent
l'extérieur, tandis que la Musique modifie
l'intérieur de l'Homme. Elle est l'école de la
pondération, de l'équilibre, de la
justesse.
Associe aux mathématiques,
représentant la compréhension intellectuelle
et symbolisant l'aspect masculin, elle en est le
complémentaire féminin permettant
l'appréhension sensitive du monde. Elle favorise la
perception du Nombre, dont elle est l'expression la plus
parfaite.
Elle entretient avec le Temps des
relations privilégiées. Participant au
Présent, de "l'Ici et Maintenant", elle relève
d'une dimension "verticale", n'étant
générée que dans l'instant: le son
aussitôt généré s'annihile. De
plus, la musique est traditionnellement reliée aux
mouvements énergétiques spécifiques de
la journée ou des saisons (choix d'une tonique, d'un
mode, selon les heures ou les moments, les fêtes de
l'année ... ).
Elle introduit au monde invisible,
à l'incantation, à la magie opérative,
construite selon la même loi harmonique de l'univers.
La magie du son opère au niveau du nom initiatique
qui est l'essence même de l'être auquel il
appartient, la note fondamentale de son âme. Ce
pouvoir créateur de la nomination est souligné
dans la Génèse : Adam nomme les animaux, et
acquiert ainsi un pouvoir sur eux. Le nom initiatique,
préalable à l'être existentiel, est
reçu en langue sacrée et reste inconnu de
l'individu lui-même tant qu'il n'est pas entré
sur le chemin de l'initiation. Chanue lettre y est
l'expression d'un Nombre, c'est-à-dire d'une
vibration particulière, d'un son spécifique et
l'incantation pour être opérative doit
être portée par le souffle.
L'Univers est un monde de
résonances et découvrir les analogies conduit
à la Connaissance : l'identité de vibration
est aussi la base de la magie sacrée.
De ce vaste océan sonore
s'élèvent, selon la tradition chinoise, trois
musiques : La Terre génère les bruits et les
sons de la nature (vent, vagues, éclairs ... ) et
possède sa tonique. L'Homme produit des sons
instrumentaux ou vocaux. La Musique de la Terre et la
Musique de l'Homme sont subordonnées aux huit
souffles, les Huit Vents de la Rose des Vents (C'est ainsi
que la tradition chinoise attribue huit matériaux
différents à la fabrication des
instruments).
Le Ciel a sa musique, qui est la Vie
s'écoulant, le mouvemement des énergies en
nous. La Musique du Ciel s'adresse au monde intérieur
de l'Homme, à l'être verticalisé. Elle
introduit au Silence, et lui confère son
identité véritable qui est vacuité
existentielle, c'est-à-dire plénitude de
l'être essentiel. Origine et fin de toute chose, il
est ce par quoi s'opère la transmutation dans
l'Eternel Présent.